Il y a 104 ans…

Georgette Leblanc écrivait :

Une question se pose souvent, à laquelle il ne nous semble point possible de répondre. Comment nos parents pouvaient-ils se passer des commodités ou des distractions qui nous sont devenues indispensables ? Comment remplissaient-ils les heures vides, ceux-là qui ne connaissaient ni les joies de la bicyclette, ni la rapidité de l’automobile, ni les péripéties du bridge, ni les plaisirs du tango, du tennis, du fox-trott ou du golf ?

A mesure que la civilisation devient plus raffinée, l’homme cherche plus d’auxiliaires contre l’ennui qui le menace. Plus se complique le mécanisme de sa pensée, plus il a peur de penser. Quand on songe aux journées interminables où le barbare restait en face de lui-même à ne rien faire ! Ne rien faire, l’homme de nos jours ne s’y résigne pas. Si agitée, si fiévreuse, si encombrée d’occupations vaines que soit sa vie, il trouve encore des instants à combler avec des occupations plus vaines encore. Faites-lui cadeau d’une distraction nouvelle, il s’arrangera pour lui donner toute la place qu’elle mérite, sans pour cela négliger une seule de celles qu’il avait adoptées.

Car il ne faut pas rester en face de soi. Voilà l’essentiel. Il ne faut pas avoir le temps de ne rien faire, le temps de rêver, ni de réfléchir, ni de regarder le spectacle de la vie, ni d’en écouter les silences impressionnants, ni d’en subir l’angoisse ou l’exaltation.

Contre tout cela, appelons à notre secours toutes les forces du dehors. Jadis on causait, on fumait, on buvait de l’alcool, on allait au café. Aujourd’hui, mêmes plaisirs, auxquels d’autres s’ajoutent, qui deviennent immédiatement aussi nécessaires.

Imaginez la détresse de certains fervents du bridge auxquels le droit de jouer serait soudain retiré. Certes, vous avez vu, pendant la guerre, de ces gens qui, jadis, ne concevaient pas une journée sans une course ou une promenade en auto. Quel désarroi pour eux lorsque s’ouvrit l’ère des restrictions ! Avec trois heures de bridge et deux heures d’auto, on a la satisfaction d’un après-midi bien rempli. Rien à regretter. Le destin est magnifique… Et, le soir, cinéma.

Extrait de Propos sur le cinéma (1919)

Collapsus

Des fictions pour les transitions – Épisode 1

Collapsus, Thomas Bronnec, éditions Gallimard, 2022

Lire Collapsus, c’est se heurter d’emblée au malaise de la citation mise en exergue dans le quatrième de couverture : Pour sauver l’humanité, faut-il en sacrifier la moitié ?

Je tenterais la comparaison avec un jeu d’échec, une partie politique, où les pions blancs seraient les sauveurs du climat et les pions noirs ceux de la démocratie. Est-ce que la sauvegarde de la vie sur terre doit passer par la privation de liberté ?

Le roi blanc serait le président Pierre Savidan. Blanc pureté ou blanc cassé ? Il se voudrait vert. Mais la dame de l’échiquier, Fanny, qui n’est pas la première dame, virerait vers le rouge. Des écolos radicaux de son équipe la traiteraient plutôt de une khmère verte. Et le roi Pierre Savidan lorgne sur une troisième dame, Mathilde, de quel bord est-elle ?

Parmi les pions noirs, il y a le roi de l’industrie laitière. Il s’est vu supprimé sa dame d’entrée de jeu. Son avocat est traité comme un fou, envoyé dans un camp de redressement. Car dans cette partie, les points se compte en SEI, Score Ecologique Individuel. Ceux qui n’ont pas le compte, la moitié de l’humanité, doivent changer de camp, en passant par ces colonies écolos.

Est-ce pour autant une dystopie ? Le récit est glaçant. Deux visions de possibilités d’avenir s’opposent. Certains épisodes sont à la frontière entre le réel et la caricature. Les occasions de se réjouir sont rare dans la politique des blancs basée sur les privations. C’est dérangeant si l’on est persuadé que manger moins de viande ou voyager moins fait partie de la solution. Oui pour rester en dessous des 2°C de plus de réchauffement climatique, mais pas comme dans Collapsus !

Le pouvoir de la fiction, c’est d’expérimenter par l’imaginaire ce qu’on voudrait voir se passer ou pas. Et Collapsus permet de barrer de la liste quelques solutions autoritaires.

Roi et reine du jeu d’échec de l’île de Lewis (Ecosse)

Des fictions pour les transitions

Imaginer, inspirer, sensibiliser, aiguiller, expérimenter, modéliser, illustrer…

La fiction peut-elle accélérer les transitions énergétiques et environnementales via la réflexion et le comportement des lecteurs ?

En théorie, agir contre le réchauffement climatique, c’est simple : consommer moins de pétrole (moins d’essence, moins de plastique). Mais en pratique, c’est difficile, car cela se joue à tous les niveaux de la société, individuel, collectif, économique, etc…

Comment se passer de pétrole sans révolution sanglante ? Quel scénario pour limiter l’impact des activités humaines sur la biodiversité ?

Cet article se veut une page sommaire pour partir à la recherche des livres qui proposent de tendre un futur désirable et durable. Bien sûr, cela ne se fera pas avec une baguette magique, il y aura des déçus, des conflits, des pertes. Mais si on n’essaie pas de trouver des solutions, et pourquoi pas d’abord virtuellement, on continuera à répandre nos poisons.

Avant d’embarquer vers ces mondes inédits ou souhaitables, voici une tentative de définition d’une fiction pour les transitions, de trans-histoires :

  • une bonne histoire, pas un essai ni un manifeste politique
  • science fiction dans un monde au même physique et biologique que le nôtre (peut-être pas le même mode de pensée)
  • plus du côté de l’utopie que de l’apocalypse, des solutions transitoire ou durables qui évitent un cataclysme
  • la transition n’est pas toujours une réussite sur tous les plans

Une première liste :

TitreAuteurPremière parutionÉditeur
EcotopiaErnest Callenbach1975Rue de l’échiquier
Nous sommes l’étincelleVincent Villeminot2019Pocket Jeunesse
The Ministry for the FutureKim Stanley Robinson2020Orbit (US)
La part cachée du mondeEve Gabrielle2021La Mer Salée
CollapsusThomas Bronnec2022Gallimard
Le grand vertigePierre Ducrozet2022Actes Sud
Liste provisoire de fictions-transition (mise à jour en février 2023)

Tous les titres n’abordent pas les mêmes effets des transitions écologiques et énergétiques, ni aux mêmes échelles. Les résultats sont d’ailleurs très variables… Voici un essai de classement :

FictionsÉchelleMoyens de la transition
EcotopiaEtatsTechnique de recyclage, low tech
CollapsusFrancePolitique, score de sobriété
Part cachéeRégionTechniques de sobriété
EtincellesLocalRetour à la nature
MinistryMondialPolitique, activiste
VertigeMondialActiviste

Où les livres nous portent

Et voici la carte de mes lectures 2022 !

Fictions de la nuit des temps

La nuit des temps, expression désignant les siècles écoulés dans lesquels l’histoire se tait ou bien n’est qu’une vague tradition, selon la définition du Littré (*).

La nuit de temps, celle de Barjavel dans son roman écrit en 1968, désigne une période située 900,000 avant notre ère. Sapiens n’était pas encore né. C’est Antecessor, l’ancêtre commun branches homo et Neandertal, qui vivait en Europe à cette époque. Et en Antarctique ?

Equation de Zoran

Cet article ne revient pas sur le roman de Barjavel, qui figure dans le Top 10 de mes plaisirs de lecture de tous les temps (mais à relire car souvenir un peu flou, ma lecture date d’il y a trente ans, et d’ailleurs je ne me rappelle plus de de cette équation de Zoran qui signifie « ce qui n’existe pas existe », c’est un peu taoïste non ?). Je reviens sur trois romans lus ces derniers mois qui explorent la même thématique de plongée dans la nuit des temps.

Par ordre chronologique de lecture, par ordre inverse de parution, et plus ou moins par ordre croissant de préférence :

Femme du ciel et des tempêtes, de Wilfried N’Sondé, Actes Sud 2021

Le titre invite à une quête qui dépasse celle de simples ossements. Et en effet, il ne faut pas s’attendre à récit précis de fouilles archéologiques ni à des révélations sur les migrations humaines. La femme à peau noire dont on recherche l’histoire vivait il y a 10000 ans en Sibérie. Le roman met en perspective les attentes des personnages sur cette découverte : les intérêts du shaman, le zoologue, l’anthropologue, la médecin légiste et le mafieux ne sont pas alignés. Mais cette sépulture qui sort de l’oubli – de la nuit des temps- dévoile leurs aspirations profondes. C’est ce thème autour des fantasmes liés à nos lointains ancêtres et de la nature au-dessus du reste que je retiens dans ce roman.

Bloc de permafrost (pergélisol en français) en train de fondre sur le littoral de la toundra d’Alaska

Le dit du vivant, Denis Drummond, Le Cherche Midi, 2020

Ce titre énigmatique – qu’est-ce qu’un dit ? – et l’incontournable vague d’Hokusai m’ont fait longtemps de l’œil ! Dès les premières pages, la langue du poète, celle de l’auteur, celle du vivant, envoûte. Un coup de cœur pour la narration. Les voix s’emmêlent et se répondent pour justement démêler les faits. Le dit est didactique et l’enchaînement haletant.

Ici c’est l’harmonie et l’empathie entre les personnages qui l’emporte. Tout n’est pas facile pour autant. Plus que la géopolitique, l’antagoniste, c’est la limite que l’humain se donne.

Le « hic » dans l’histoire, le cœur de l’intrigue, c’est la datation du squelette de plusieurs millions d’années. Homo Sapiens n’était pas né ! Je ne m’étendrai pas plus sur ce point, mais pourquoi forcément Sapiens et pas un alter ego ?

Une citation du roman qui résume pour moi le ton et le thème du roman « Les grands récits cherchent des bouches pour les dire, tout comme l’information contenue dans l’ADN est en quête d’un hôte pour pouvoir être transmise. »

Maître de la matière, Andreas Eschbach, L’Atalante, 2013

Je ne m’attendais pas à ce foisonnement d’idées, de lieux, de retournements… une belle surprise !

Au départ, une promesse comme dans un conte, la fille de l’ambassadeur et le fils de la femme de ménage deviennent amis. Charlotte et Hiroshi le resteront-ils grâce à – ou malgré – leurs promesses réciproques : la suppression des inégalités entre riches et pauvres et l’accès à l’histoire ante diluvienne des objets ?

Puis, dans ce roman d’initiation avec un soupçon de fantastique, on passe par les étapes : campus novel, échouage sur une île déserte, romantisme britannique, course poursuite, on flirte avec l’épouvante et on aurait pu frôler le space opera. J’appellerais cela un roman baroque, il y aurait une B.O. avec Queen, les Sparks et les Rita Mitsouko.

Le don de Charlotte donne l’impulsion de l’intrigue, et ouvre sur des possibilités multiples. Mais ce don a un effet effrayant ou kaléidoscopique sur elle : malgré les histoires multiples, un humain a toujours sa dose de bonheurs et de malheurs. Avec elle on remonte le temps comme une avenue : Trente pas de plus. ils se trouvaient à présent sous l’arche de la Johnston Gate « Onze mille ans avant Jésus-Christ, annonça Charlotte en baissant le doigt. Quelques traces indiquent la présences de cultures céréalières en Mésopotamie. Jerf el Ahmar et Göbekli Tepe, les sites de peuplement les plus anciens connus de l’humanité, datent de cette époque. »

Jeu des 7 différences

Pour préciser un peu sur ce qui m’interpelle dans ce type de romans, leurs similitudes sous le prisme de thématiques récurrentes mais abordés sous différents angles pour continuer sur l’utilisation du kaléidoscope :

Catastrophes naturelles : La femme des tempêtes est découverte suite au réchauffement du permafrost, le Vivant est trouvé suite à un séisme et les objets du maître de la matière suite à glissement du glacier d’une île russe. Tout comme dans le roman de Barjavel, on se demande ce que la glace nous cache. Et autant le réchauffement climatique nous effraie, la promesse d’apparition de la nuit des temps agite notre imagination. (**)

Vestiges : Au delà de civilisations disparues, thème fascinant, ces romans mettent en scène un individu ou son héritage à travers les millions d’années. Les découvertes portent sur un squelette, un outil voire un rendez-vous manqué… Est-ce qu’on ne trouvera jamais que des silex comme constructions humaines de plus de 10,000 ans ?

Datation: 900000, 10000, 13000000… Comme on a du mal à se représenter un gain au loto, le décompte des années avant JC n’est pas toujours parlant. Pourtant avec l’avancée des techniques, notre imaginaire commun attribuerait presque un portrait à chacune des « créatures » de ces temps là…

Dons surnaturels : via le chamanisme, l’autisme, ou une forme de radiesthésie se posent encore et toujours les questions du destin et des liens invisibles entre les êtres.

Voyages: De l’Afrique à la Sibérie, de l’Amérique latine au Japon, tout en passant par les Philippines et l’Écosse, ces romans trace des parallèles entre les préhistoire des continents. D’ailleurs ce sont tous des morceaux du puzzle de la Pangée…

Genre (pas celui des ancêtres mais des fictions, même si le premier thème pourrait être intéressant dans une fiction) : littérature de l’imaginaire, science-fiction, enquête comment définir cette imagination du passé ? le thème n’est pas abordé sous le même angle par tous les auteurs.

Féminin-masculin : pour revenir sur les genres quand même, la part, l’équilibre ou de déséquilibre entre homme et femmes est décisif dans le tournant des histoires. Les sociétés antiques étaient-elles plus matriarcales que celles de nos jours ? Les relations hommes-femmes influent sur les découvertes. mais ce qui me marque le plus, c’est le devenir des contemporain du maître de la matière, ou le Yang (construire, agir) l’emporte sur le Yin (contempler, absorber). Conclusion : viser l’équilibre !

Notes :

(*) A propos de la définition Pour un exemple séculaire de citation intégrant la nuit des temps, Wiktionnaire mentionne Frédéric Weisgerber qui écrivait en 1905 1 « La découverte des Iles Canaries se perd dans la nuit des temps. Homère attribue à Sésostris, roi d’Égypte, connu par ses conquêtes et ses expéditions lointaines au xve siècle av. J.-C., la colonisation de l’île Ήλσνίος « au delà des colonnes d’Hercule ». NB: Une autre (?) version de cette histoire antique à lire dans le roman Kaphtor de Nicolas-Raphaël Foulques !

(**) On pense également aux Montagnes Hallucinées de Lovecraft. Dans sa nouvelle, Lovecraft fait allusion à de possible civilisations extra-terrestres, mais ce n’est pas l’explication préférée des autres auteurs, mêmes si certains y font allusion.

Bleue

Comme la vue sur cette photo, les chutes d’Alta devaient être vertigineuses, avant la construction de ce barrage au nord de la Norvège. C’est contre la défiguration de ce paysage, contre la fonte des glaciers alors que l’eau devient de plus en plus précieuses, que s’est battue toute sa vie Signe, la première des narratrices du Roman.

24 ans plus tard, David fuit le Sud et la sécheresse mortelle avec sa fille Lou.

La première lutte contre les éléments liquides, ne fait qu’un avec son voilier, Bleu. Le deuxième résiste contre le manque de tout dans un camp de réfugiés climatique.

C’est la même eau qui lie les histoires de David et Signe, et je n’en dirai pas plus…

Affiché comme une dystopie, climate-fiction ou cli-fi, c’est aussi un beau roman sur les rapports entre femmes et hommes en tant de crise, sur les dissonances dans les couples, sur l’environnement qui rattrape l’être humain.

Bleue, La fin des Océans, Maja Lunde, Les Presses de la cité, 2019

MotherCloud

J’ai acheté une version numérique en promotion de MotherCloud sur ma Kobo le 20-04-2020, à l’heure où la FNAC recevait des centaines de millions d’euros pour refaire surface, à l’heure où Amazon était en arrêt temporaire pour non-respect des gestes barrière.

C’est l’histoire de Zinnia, une infiltrée dans la ville-entrepôt de l’enseigne MotherCloud. Dans ce quasi huis clos, elle rencontre Paxton, qui arrive un peu en touriste dans cette boîte. MotherCloud fagocite toute l’économie et Paxton en a fait les frais. Comment ces individus vont s’en sortir dans ce mode de vie formatté, et vont-ils en sortir tout court un jour ?

On retrouve dans ce roman un condensé de tous les ingrédients de la SF classique avec les clins d’oeils aux incontournables, à travers les livres, la nourriture, la high tech, les jeux vidéos ou la politique.

Et c’est cela que je cherchais, retrouver les codes d’un roman d’anticipation, (malheureusement très) crédible, pas trop flippant, avec des passages à (presque) hurler de rire et une histoire pas trop compliquée qui tienne en haleine jusqu’au bout !

Pour celles et ceux qui cherchent une fable caricature de nos modes de vie de consommateurs, de la montre connectée à la commémoration du (très) black friday : bon cru SF 2020 pour accompagner votre steak 😉

Rouge impératrice

Un roman de science-fiction qui se déroule à Katiopa, continent africain unifié : c’est ce que j’avais compris de la quatrième de couverture et ce qui avait aiguisé ma curiosité.

Je voulais aussi renouer avec la science fiction. Pourtant pas brouillée avec le genre imaginaire, mais à part quelques titres (Guide de survie pour le voyageur du temps amateur, Nexus…), je n’avais pas envie d’en lire ces dernières années.

Je voulais embarquer dans un monde utopique dont Katopia serait le centre. L’histoire m’a ouvert l’esprit sur une culture méconnue. Où la vie n’est pas que physique, où le rêve joue un rôle dans la politique. Où le futur renoue avec les traditions matriarcales. C’est plus un roman de politique-fiction que de science-fiction, la technique ne joue pas de rôle crucial dans l’intrigue. Un livre qui donne envie de creuser l’histoire des reines noires de Méroé, celle des reines bantoues d’Afrique de l’ouest et l’influence des déesses Sekhmet et Hathor…

L’auteure franco-camerounaise Léonora Miano a écrit un pavé. Si je n’avais pas emprunté ce roman, à la bibliothèque pendant le premier confinement, je pense que je l’aurais rendu à mi-lecture et réemprunté plus tard. Rouge impératrice n’est pas un page-turner, mais la langue riche et le point de vue original sur la mondialisation sont assez puissants pour que l’on suive jusqu’au bout le destin de Boya, la femme rouge. Qu’adviendra-t-il de son amour caché avec Ilunga et avec eux des peuples de Katiopa ?

A qui conseiller cette lecture ? A tous ceux et celles qui aiment le mariage audacieux entre tradition et science-fiction, et prêts à partir loin des sentiers battus de l’imaginaire du XXIIe siècle.


Crédit image : Anne Zingha, reine de Matamba, lithographie de Achille Devéria, 1830

Retour vers le futur – fiction 2020

2020, année de retour aux lectures de science-fiction. Est-ce une coïncidence ?

Avant de revenir vers quelques lectures de romans de catégorie « imaginaires » dans les articles à venir, quelques mots sur l’intrication (désolés pour les puristes, ce n’est pas le bon terme scientifique, mais j’avais envie de l’utiliser) entre la fiction et quelques évènements.

Si l’on prend la trilogie « Retour vers le futur » (d’où le graphique ci-dessous), les scénaristes ne veulent pas entendre parler d’un 4ème épisode. Pourtant je rêverais qu’en 2025… Marty, vieillissant, vient d’enterrer sa mère. Il est au bout de sa vie après sa séparation d’avec Jennifer. L’Amérique (et donc le monde) est tout aussi morose. Biff/Trump est toujours aussi arrogant depuis son retour vers la maison blanche. La planète est sale, les quelques poissons survivants nageottent entre continents de plastique et dernières nappes de pétroles qui viennent d’être siphonnées. Ce 21 décembre 2025, la petite fille de Marty, Lili Mc Fly (ouaip c’est un peu macho quand même BTTF, comment la pauvre Jennifer a été laissée de côté pendant plus d’un épisode, redonnons des vrais rôles aux filles) vient de découvrir dans le grenier familial une photo de la DeLorean. Bien que Lili soit totalement anti-voiture, elle convainc sa prof Greta de repartir en 1955 pour changer non pas la destinée de la famille McFly, mais bien celle de l’utilisation du pétrole et du plastique. Au début, Marty est contre. Mais comme on vient de lui diagnostiquer un cancer en stade final d’origine environnementale (il a vécu toute sa vie à côté d’une raffinerie), il change d’avis. Alors le 5 novembre 1955, avec Greta et son grand-père (qui lui est bien obligé de préserver la généalogie pour que sa petite fille mène à bien sa mission), elle débarque en plein milieu d’une réunion tupperware pour convertir Brownie Wise au zéro déchet et ralentir la mondialisation plutôt qu’inonder le marché de ses cochonneries en plastique blablabla…

Doggerland

Doggerland, Elisabeth Filhol, 2018, éditions P.O.L.

doggerland

Premier coup de cœur de l’année, cet hymne à la mer du Nord. C’est d’abord la mention de ce continent submergé, annoncée sur la quatrième de couverture, qui m’a conduite vers ce roman. Et le contexte de l’exploitation des énergies, les renouvelables ou les fossiles, qui a fini d’aiguisé ma curiosité. Et ce que je retiens, c’est la quête : celle d’un trait de côte effacé, celle d’un amour inachevé, celle de son identité, par plusieurs voix entremêlées.

La puissance de l’écriture m’a embarquée, j’ai suivi la sirène.  Les phrases sans fin auraient pu desservir le propos technique, mais non, jamais elles ne noient le lecteur, parfois elle le bercent dans une douce torpeur, mais la houle ne tarde pas à le réveiller pour l’embarquer vers un nouveau visage.

Les personnages sont forts. Ils ont des failles, que les catastrophes naturelles ne masquent pas. Plus que par un thriller sur la recherche d’un continent disparu, j’ai été happée par cette confrontation entre êtres humains, dans un environnement mouvant. Et la part de mystère que gardent Margaret et le Doggerland n’y est pas pour rien.

Crédit image: Par Max Naylor — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=6011686